L’UNESCO adopte une directive sur la création et la diffusion numériques

Après plus de quatre ans de discussions, l’UNESCO a finalement modifié la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles afin qu’elle couvre le numérique.

Adopté en 2005 par 144 des 195 pays membres de cette agence de l’ONU, le texte de cette convention destinée à permettre aux pays signataires de protéger leur identité culturelle s’était vite retrouvé dépassé. En effet, il ne contenait aucun article concernant la création et la diffusion numériques.

Les pays pouvaient donc s’appuyer sur cette convention pour protéger et subventionner le cinéma, le théâtre ou le livre, mais celle-ci demeurait muette sur ce qu’ils pouvaient faire pour s’assurer que leur culture nationale n’est pas marginalisée sur Internet.

Cette lacune vient d’être comblée, dit le ministre québécois de la Culture, Luc Fortin, qui est venu spécialement à Paris pour l’occasion.

« Il était important de s’assurer que le numérique jouisse de la même protection que toutes les autres plateformes, dit-il, et que la Convention soit complétée pour tenir compte de la réalité actuelle. »

Lors de cette première visite officielle en France, Luc Fortin est intervenu à trois reprises cette semaine à l’UNESCO.

 

Inquiétude pour l’ALENA

Le ministre ne cache pas que cette adoption est particulièrement importante au moment où le gouvernement américain songe à rouvrir son accord de libre-échange avec le Canada et le Mexique (l’ALENA).

« Il n’est pas question pour nous, dit-il, de revenir sur l’exception culturelle, et que la culture ne soit pas protégée en cas de réouverture. Il n’y a pas de compromis à faire là-dessus ! »

Le ministre a profité de cette visite pour s’entretenir jeudi pendant une heure et demie avec son nouvel homologue français, Françoise Nyssen.

Cette lacune dans le domaine numérique avait été observée depuis longtemps, notamment par la France, mais aussi par l’ancienne ministre de la Culture du Québec Louise Beaudoin, qui avait produit un rapport sur le sujet pour l’Organisation internationale de la Francophonie.

C’est surtout à l’initiative du Québec (qui a un siège au sein de la délégation canadienne), de la France et du Canada que l’UNESCO s’est finalement saisie de l’affaire en mettant la question à son ordre du jour dès 2012. Le Québec, qui avait participé aux premières réflexions sur cette convention au début des années 2000, a joué un rôle moteur dans cette mise à jour.

« La directive semble très bien reçue par les organismes culturels du Québec auxquels nous l’avons présentée, dit Véronique Guèvremont de l’Université Laval, qui a participé à la rédaction du texte et produit des études préliminaires. La directive couvre aussi bien la création, la production que l’accès et la diffusion numériques. »

Si les milieux culturels québécois s’inquiètent de la réouverture de l’ALENA, d’autres s’inquiètent aussi du nouvel accord qui n’est toujours pas entré en vigueur entre le Canada et l’Union européenne (AECG). On sait que, contrairement à l’ALENA, il ne contient pas d’exemption culturelle générale, mais des exemptions à la pièce.Cette directive pourra fournir un cadre juridique pour guider la réflexion, dit Véronique Guèvremont.

 

Google reste muet

Du côté des pays les plus pauvres membres de l’UNESCO, on s’inquiète surtout des suites à donner à cette directive.

Le Sénégal aimerait notamment donner un contenu concret à l’article 10 de la Convention qui incite les pays riches à accorder un traitement préférentiel à la circulation des créations culturelles du Sud dans les pays du Nord.

En 2005, la ratification de la Convention avait été suivie de la création d’un fonds destiné à aider les pays pauvres à se donner des politiques culturelles permettant de protéger leur identité. Créé en 2008, ce fonds n’a accumulé depuis cette époque que six millions de dollars. Ce qui n’a permis l’an dernier de lancer que six projets de 100 000 $ chacun.

Pas plus que la Convention, cette directive n’a évidemment de caractère obligatoire, précise Véronique Guèvremont.« Mais, comme la Convention, elle pourra guider les États qui cherchent à adapter leurs politiques culturelles. C’est la raison pour laquelle, à l’UNESCO, l’Afrique du Sud a récemment suivi de près les débats sur la directive. »

Reste une absence que soulignent la plupart des intervenants. Les grands de l’Internet, comme Google, Facebook ou Microsoft, ne se sont jamais prononcés sur les enjeux de cette directive. Le texte adopté jeudi précise d’ailleurs l’urgence d’amorcer une « conversation » avec ces géants du numérique. Mais, comme nous le disait un haut fonctionnaire proche du dossier, « pour discuter, encore faut-il être deux ».

 

Source : La Convention sur la diversité culturelle mise à jour, Le Devoir, Christian Rioux, 16 juin 2017.